Le musée Boa
Door In Koli Jean Bofane, op Tue Jun 03 2025 10:32:00 GMT+0000Au Musée Boa, les objets coloniaux prennent la poussière en silence. Mais les masques, les statues et les figurines sont las d'entendre la voix du bourreau parler en leur nom. Ils s'éveillent, se réunissent, désireux de faire éclater la vérité. Le temps presse. « Qu'allons-nous faire du reptile et de ce qu'il a avalé ? »
Depuis 1908, des œuvres venues d'Afrique centrale,
du Congo et de ce que l'on appelait Rwanda-Urundi
dorment ici, sur des étagères protégées par la
poussière. Elles attendent leur heure
Ces objets sont arrivés là, sans avoir rien demandé à
personne. Ils ont reçu des qualificatifs. On a
cherché
à leur donner des lettres de noblesse mais sans rien
leur demander, non plus.
Malgré cette inertie imposée, des figurines et
d'anciennes carcasses ont agit dans l'ombre.
Aujourd'hui, un soleil nouveau se lèverait-il sur
Tervuren ?
Après plus de cent ans d'existence, le plus grand
musée colonial au monde tente de faire peau
neuve : l'ossature coloniale de l'édifice et sa
musculature scientifique, doivent changer leur
apparence au monde.
L’institution a convoqué les experts de ses différents
organes. Elle a rassemblé la diaspora de l'Afrique
centrale pour s'octroyer une sorte de cure de
jouvence. Six d'entre eux sont mandatés pour
énoncer un diagnostic.
Qu'on approuvera ou pas ...
Tout est à déconstruire. Il faut éventrer le boa; tout
mettre à plat. Mais démanteler
est une opération délicate.
Quel est le réel but du port d'un masque Tshokwe ?
Peut-on se permettre de l'exposer dans une cage de
verre ?
Contempler ces espaces était-il suffisant pour
répondre à toutes les questions ?
Des statuettes Pende, des masques Kuba sortis du
ventre de la bête ont exigé une trêve, quant à leur
définition.Ils en ont assez d'entendre la voix du
bourreau, parler pour eux.
Les masques veulent s'exprimer. Ils se réveillent,
pour parler des hommes.
Le diamant, le cobalt et l'uranium ont eu leur tour
de parole mais n'ont pas pu tout raconter. Les mines
devraient parler. Déterminer la provenance et la
dureté ne suffira plus.
L'héritage est lourd.
Que faire de cette sépulture gigantesque ?
Que faire de ce corps qui nous dépasse en taille et en âge?
Le Musée Boa est étendu au centre des discussions
mais la matière est déjà en mouvement. Le temps
presse. Faut-il le vider ? Le recoudre ? Le momifier ?
Ou le manger ?
Le boa a été un boa glouton, on l'a éventré afin de
savoir. Mais un jour, il faudra dire pourquoi les griffes
des hommes-léopards étaient si acérées. Il
faudra
tout dire et repartager. Pour les deux grandes
familles héritières, tout est à réinventer.
Le bruit des outillages, des structures que l'on glisse
sur le sol a réveillé les matériaux assoupis à cause
des discours officiels.
Les masques n'ont pas peur du bruit, ils en
redemandent encore. D'ailleurs, ils ont été
accaparés dans le bruit. Les masques ne craignent
pas le tumulte et la fureur, ils l'ont connu.
Dissimulés derrière des murs de pierre, les objets
sacrés ont continué à parler aux leurs. Ils ont
continué à parler aux ancêtres, à la nature, au
ciel.
Les sculptures ne veulent plus être traités comme
des papillons ou des coléoptères ; ils ont été pris en
otage par milliers et parqués dans des salles, tout
comme les troupeaux de zèbres et de gazelles.
Des statuettes Mongo et Mosakata se sont réunies.
Elles ont convoqué les arbres lifaki et kambala, dans
lesquels elles ont été sculptées. Eux ont dit qu'il
fallait faire sortir la vérité.
Des colifichets rituels Muntandu, des instruments de
musique Ngwaka ont déposé une requête pour que
plus aucun spectre du passé ne puisse les
importuner de leur ombre.
Ou alors, faudra-t-il replonger dans le sommeil pour
cent ans encore ?
Après cinq années de palabre sur l'appétit du boa, le
dialogue semble paralysé. L'animal gît éventré, au
milieu de son repas. Que va-t-on faire du reptile et
de ce qu'il a ingurgité ?
La traduction néerlandaise est disponible ici.

This article was published in the context of Come Together, a project funded by the European Union.