Boali chez les Xnos

Door Mireille-Tsheusi Robert, op Tue Jun 03 2025 14:27:00 GMT+0000

Depuis que la sorcière Nkoy a taillé un trou dans le menton de Boali, celle-ci peut voyager dans le temps. Telle une filoute cyberpunk, elle traverse passé et futur. Grâce à un mélange de savoirs occultes et de maîtrise technologique, Boali cherche à façonner l’histoire à sa guise. Par hasard, elle croise aussi la mère spirituelle de Frankenstein.

Il n’y a pas d’air dans ces galeries de Coudenberg ! Essoufflée, épuisée et désemparée je m’arrête quelques instants dans le creux d’un couloir voûté, espérant que la pénombre pourra me soustraire à la vue des hommes de Mols et de Dhanis. Je reprends mon souffle tandis qu’un cheval au galop semble en approche. Je n’ai plus le choix, je dois immédiatement quitter cette année 1904, à défaut d’être en mesure de quitter ce siècle. Trop tard, ils sont là. Je ferme les yeux en attendant la mort. Soudain, le vacarme cesse et le souffle chaud et visqueux d’un destrier me recouvre le visage. J’ouvre un œil et puis l’autre. Je vois cinq chevaliers masqués.

Une voix apaisée, presque paternelle me dit : « Sort de là, Boali, tout est fini ».
« Comment connaissez-vous mon nom ? »
« Toute la métropole sait qui tu es », dit-il en descendant de sa monture. Il s’approche. Une cagoule ample cache son visage. Je ne vois même pas ses yeux mais je sens tout de même son haleine fétide déclamer mon identité : « Boali ya Wala, fille de Nsala et de Bonginganoa, originaire du district de Nsongo; cheptel de la concession de notre compagnie, l’ABIR ».

Il attrape mon bras et tout mon corps tremble de stupeur. Je me débats et j’hurle, ma voix résonne en vain dans les dédales de ce souterrain de suzerains. Dans un ultime geste de désespoir, je mets ma main sous mon menton là où est logé une scarification. « J’espère que ça fonctionne cette fois-ci… » murmurais-je. Mais il ne se passe rien. Cette Sorcière Nkoy m’aurait-elle envoyé ici sans garantie que la scarification fonctionne ? Le cavalier perd patience et me traîne à présent par une jambe sur le sol humide et froid. « Je vais t’apprendre la discipline, Boali » dit-il en lâchant un coup de son fouet en peau d’hippopotame. J’esquive ! Son cheval reçoit la schlague et fait du raffut. C’est ma chance. Je réessaye en me caressant le menton. Maria Nkoy disait : « Dompte la peur en te rappelant de l’importance de ta mission ». Il faut dire que le décollage ne fonctionne qu’à certaines conditions inhérentes à ma dignité : position droite, tête haute, esprit clair. A l’instant où je commence, personne ne peut me toucher. Enfin, mon rythme cardiaque doit être équilibré. Alors, plus calme et concentrée que jamais, je réessaye.

Ça y est, ça commence, mon corps s’emplit de chaleur et rayonne comme un soleil. Flavescente, mes os semblent se liquéfier tandis que malgré moi, mes bras se dressent au-dessus de ma tête. J’ai juste le temps de constater la stupéfaction de ces affreux personnages cagoulés, puis en une fraction de seconde, j'atterris dans une chambre.

Je me débats et j’hurle, ma voix résonne en vain dans les dédales de ce souterrain de suzerains.

J’interromps la quiétude d’une lady penchée sur son ouvrage et agitant sa plume sur un palimpseste écru.
« Qui es-tu ? Que fais-tu ici ? Mais, par où es-tu entrée ? » s’égosille-t-elle.
Je ne sais pas quoi lui répondre, alors j’improvise : « Tu sais très bien que je n’ai pas le temps, dis-moi vite ce que tu barbouilles pour que j’aille faire mon rapport ».
« Quoi ? Alors ça y est, ils savent qui je suis ? Mais je… je ne me suis pas préparée. Il faut que je vienne avec toi ? » dit-elle en se recoiffant.
Pendant qu’elle s’active, je réfléchis vélocement. Vu son anglais très british, il est évident que je me suis encore trompée de lieu et d’époque. Mon manque d’expérience dans le maniement de mon estafilade me joue des tours.
Je lui réponds « Non, je dois y aller seule ». Ma supercherie à l’air de porter ses fruits. Alors je continue en attendant que s’écoulent les trois minutes me permettant de voyager à nouveau.
« Tu n’as pas répondu à ma question, que fais-tu ? »
« Je termine l’œuvre de ma vie, enfin, je crois. Je l’ai appelée « Frankenstein ». Elle répond calmement, avant de tressaillir délicatement : « Oh, je ne me suis pas présentée, je m’appelle Mary… ».
« Maria Nkoy, c’est toi ? »
« Euh… non, je m’appelle Mary Godwin Shelley. Qui cherchez-vous ? »
« Personne, je dois partir » dis-je en attrapant quelques feuillets qui trainaient sur le guéridon. Je ne peux pas rester longtemps, or, Nkoy m’a aussi dit « apprends quelque chose de chaque personne que tu rencontres ». Je n’ai pas le temps de converser avec Shelley, alors j’ai pris quelques feuilles chiffonnées d’un texte dénommé « Queen Mab ».
Mais elle proteste : « Mais c’est le texte de mon mari. »
« Alors, donne-moi quelque chose que tu as écrit » dis-je en gardant mon ton rogue et expéditif.
Là, elle s’arrête un instant, me regarde intensément et chuchote : « J’ai mieux que ça ». Puis, elle fixe son regard derrière moi. Je me retourne et une femme Noire magnétique, habillée comme les blanches me dit « je suis Mary Prince. Et toi, qui es-tu ? N’es-tu pas ma sœur d’Afrique ? »
Je savais que j’allais perdre beaucoup de temps mais j’ai eu envie de rester et d’écouter les histoires de ces deux « Mary » si énigmatiques à mes yeux.
Après de grands discussions sur l’esclavage, le métissage et nos rêves de paix, je vis l’aube et me hâta de leur dire adieu. J’effleure ma saillance, je m’illumine, je voltige et je disparais !

Sourou Picture, Boali chez les Xnos, 2025

J’atterris dans une cave immense, remplis de cartons et d’objets en bois. Un masque monumental me fait face.

J’atterris dans une cave immense, remplis de cartons et d’objets en bois. Un masque monumental me fait face. Sur son support vieilli, on peut lire : « Musée du Congo ». Je traverse de longs couloirs et des pièces remplies de mysticisme endormi. Des statuettes, des masques, des animaux empaillés, des troncs de grands arbres africains amputés, tous ces objets me parlent en même temps en lingala, swahili, tshiluba, kikongo, kinyarwanda, kirundi. Certains sont en colère, d’autres crient « justice » et d’autres encore se lamentent. Une chose est sûre, ils réclament tous la même chose : sortir de là. « Hé Boali, mwana na ngai, bimissa nga » me dit une statuette. Je lui demande qui elle est. « Je suis l’ancêtre de Lusinga ». J’hésite, je n’ose pas la toucher. « Ce n’est pas possible, j’ai une mission à mener et j’ai déjà perdu beaucoup de temps en me trompant plusieurs fois d’endroit ou d’époque. Pour dire vrai, je ne sais pas exactement où je dois aller ».

Toute notre conversation est en lingala, malgré son accent d’Africain resté trop longtemps en Europe.

« Dis-moi quelle est ta mission, peut-être que je pourrais t’aider. »
« Eh bien, c’est un peu long… »
« Tu sais, ça fait plus d’un siècle que je suis prisonnière des Belges. Ils m’ont dépossédée de tout dans le but de divertir et d’enseigner les blancs. J’ai été coupée de ma famille, de mon pouvoir, de ma terre natale et de ma dignité. Alors, ma petite, le temps c’est la seule chose que j’ai. Fatum ! Ba ndoki !».
« D’accord, je peux te raconter mon histoire. Je suis née en 1899, à l’époque du Congo de Léopold II. Le jour de mes 5 ans, des gardes sont venus chercher ma mère et moi. Ils nous ont enfermées dans une grande cage en plein air dans les champs de l’ABIR, là où mon père est exploité comme esclave des blancs. Nous sommes restées là jusqu’à la nuit tombée. Le lendemain, j’ai vu mon père revenir travailler mais il ne pouvait pas nous parler. Il avait l’air encore plus affamé que nous. Un garde est venu voir son panier et a estimé qu’il ne ramenait pas assez de caoutchouc. Il a reçu un coup de fouet devant nous. Je n’avais jamais vu mon père pleurer... Plus tard, les gardes sont revenus. Ils ont violenté maman sous nos yeux et lui ont coupé les pieds. Ils les ont laissés là, au milieu du champ alors que mon papa suppliait. Après, ils m’ont fait avancer et ils m’ont coupé une main. Je ne me souviens plus de rien après ça, jusqu’à ce que je me réveille dans une clairière, aux pieds d’une guérisseuse qui faisait des incantations en parlant à la lune. Mes larmes avaient séché, ma main n’était pas là mais je n’avais plus mal. J’ai regardé autour de nous et nous étions entourées de Léopards, de guerriers et de guerrières. Une autre guérisseuse m’a soulevé le menton et Nkoy a commencé à me parler. Elle m’a dit que je suis morte. Mais qu’elle peut me donner une vie d’égrégore et le pouvoir d’aller soit deux cent ans en arrière pour contrôler les évènements afin d’éviter ma propre mort ou 200 ans dans le futur ce qui me permettra de sauver l’ensemble de mon peuple ».

« Je constate que tu as choisi le futur » me dit la statuette.

« Oui, les choses s‘éclairent peu à peu dans ma tête. Si je respecte les règles de ma mission, le Kongo sera à jamais sauvé ».
« Boali, tu es au bon endroit. Ce pénitencier est le mouroir de l’autodétermination Kongolaise ». « Oui, je comprends. En quelle année sommes-nous ? »
« Nous sommes le 17 janvier 2099 ».
« Alors, tu as raison, je suis enfin au bon endroit et à la bonne date ! »
« Mais tu n’as pas fini ton histoire, qu’est-ce que Nkoy t’a fait ? »
« D’abord, elle m’a enseigné jusqu’à la pleine lune suivante. Elle m’a dit d’aller rencontrer des anciens, Farnana, Derscheid, Marian, Lumumba, Sawtche, Van Lierde, Kanza, Tassi Hangbè, Fanon, Sankara, Seeley Harris et même les abolitionnistes Albert Einsten et Dandara. Il y a une liste très longue de 46 664 personnes.
Après mon écolage, un soir, Nkoy a ordonné à un Léopard de m’assaillir. Il m’a griffée sur le corps mais je ne sentais rien. Sauf sur la pointe de mon menton. Je saignais. La guérisseuse Nkoy m’a dit que c’est par là que le pouvoir entrera en moi. Ses fidèles ont mélangé des herbes qu’elles ont appliquées dessus et elles y ont introduit autre chose mais je ne sais pas ce que c’est ».

« Maintenant que je connais ta mission, si tu me prends avec toi je pourrais t’aider ».
« Tu as surement raison. Mais je ne sais pas encore comment vous faire sortir d’ici »
« Chut, un Xnos approche, caches-toi »
« Oh non, l’histoire se répète ».
« Ne t’inquiète pas. C’est leur dernière ronde. Dans quelques minutes nous aurons tout l’intérieur du musée pour nous car ils ne surveillent que l’extérieur »

Mes larmes avaient séché, ma main n’était pas là mais je n’avais plus mal.

Quelques minutes plus tard, l’aïeule de Lusinga et moi quittons la cave pour monter dans les salles d’exposition du musée. Et là, surprise : le bâtiment est totalement vide ! Nos pas résonnent comme dans une cathédrale abandonnée. Mon nouvel ami m’explique alors que c’est suite à la décision de l’IA mais surtout grâce aux Reines que toutes les pièces du musée ont été envoyées dans l’ancienne Afrique.
« Je ne comprends pas. Pourquoi les caves sont-elles pleines alors ? »
« C’est une longue histoire, Boali. Il s’est passé tellement de choses, je ne sais pas par où commencer ».
« Expliques-moi d’abord, comment ils ont refondé l’AIA »
« Non, pas l’Association Internationale Africaine du temps du roi Léopold II, mais l’Intelligence Artificielle. L’IA ! »
« Oh... », je m’assieds au milieu de la grande rotonde pour écouter son récit.
« Comme tu le sais peut-être, la 3ème guerre mondiale a surtout été technologique et économique. Seuls quelques Xnos se sont battus sur les fronts européens. Quand les alliés de la France ont gagné la guerre, ils ont décidé de faire un seul et même pays : la « Dalliance ». Toutes les grandes puissances et les petites s’y retrouvent sauf … »
« Laisses-moi deviner : la Grande Bretagne et la Suisse ? »
« Pas tout à fait. La Corse et la Sicile ont pris leur indépendance et ne souhaitent pas intégrer cette union. L’Irlande non plus. Mais ce sont des alliés tout de même. La Grande Bretagne a déjà quitté la Dalliance plusieurs fois avant de revenir parce que cette guerre a aussi été bactériologique. Ces pays n’ont perdu que très peu de leur population d’où leur arrogance sur les fronts africains, c’est une toute autre guerre entre la Chine et la Russie qui s’y est déroulée. Les armées de ces puissances étaient en fait constituées d’Africains qui se battaient sous les drapeaux de Katerina Tikhonova et de … »
« De qui ? »
« Tikhonova, la fille de Poutine, c’est elle qui a succédé à son père. »
« Ah ouais… et qui dirige la Dalliance ? ».
« C’est la reine Fabiola, fille d’Elisabeth de Belgique. Bon, je continue. Les Africains sont morts par milliers. Ça a créé une révolte sur le continent d’abord, puis dans les différentes diasporas dans le monde. Ils disaient qu’ils en avaient marre de servir les intérêts européens. Une grande révolte salvatrice a embrasé toute l’ancienne Afrique. Les indépendances à côté, ce n’est rien du tout ! De cette révolte est notamment né un Conseil des Sages issu de tous les pays africains et de leurs diasporas. »
« Avec les présidents ? »
« Mais non malheureux ! Les régimes présidentiels ont été abolis. Ils ont mélangé le système présidentiel avec un régime de royaumes non-héréditaires : les « proyaumes ».»
« Whaouh, je vois. Alors ? Ce Conseil ? »
« Eh bien, tu connais : palabres africaines pendants quelques années, désaccords, rivalités, assassinats politiques, etc. Finalement, les femmes ont dû reprendre le projet. Elles ont fini par accoucher d’un plan d’action secret dont nous ne connaissions que la première étape : le ré-enchantement. Il s’agissait de ré-enchanter les traditions et les artéfacts sacrés pour qu’ils retrouvent leur pouvoir ».
« C’est possible ça ? Mais le mieux c’est d’abord de protéger les richesses du sous-sol, non ? Et pourquoi ne font-elle pas de nouveaux artéfacts ? Pourquoi c’est… »
« Oh là ! Trop de questions. Bon d’abord, ce que tu dois comprendre c’est qu’il y a quelques pays qui ont profité de la guerre pour améliorer leur espionnage numérique mais l’ancienne Afrique a développé des outils originaux pour ses nouveaux projets. Déjà en 2074, la Zunikty disposait d’avancées technologiques considérables. »
« La Zuni… quoi ? »
« La Zunikty, c’est le nouveau « proyaume » que forme les deux Congo, l’Angola, la Zambie, le Gabon et la Centrafrique. L’ancienne Afrique compte aujourd’hui 8 grands proyaumes. Mais laisses-moi finir, tu comprendras mieux. La Zunikty attendit la fin de la guerre et réclama le retour de tout ce qui se trouve dans les musées coloniaux d’occident. Comme tu t’en doutes, la Dalliance leur a prêté quelques objets, des falsifications d’ailleurs. Le Conseil des Sages et les trois Reines de la Zunikty ont alors fait quelque chose que personne n’aurait pu anticiper. »

Sourou Picture, Boali chez les Xnos

Subitement, la vieille s’interrompt. Je n’arrive plus à la faire parler. Mais qu’est-ce qui se passe… ? Il y a une odeur dans l’air… une brise alliacée, mais je ne vois personne, je n’entends aucun bruit. C’est sûrement un Xnos épicurien qui s’est rendu invisible pour nous surveiller. Quand l’odeur revint à la normale, l’aïeule se reprit.
« Pardonne-moi petite, dans ce pays, je suis faible et les Xnos invisibles sont redoutables et sans pitié avec les artéfacts sacrés comme moi. Alors dès que je sens leur présence, je cesse de parler me faisant ainsi passer pour une simple babiole. »

« Et moi, ils ne me feront rien ? »
« Ne t’inquiète pas, Nkoy a bien fait son travail. Alors, où en étais-je ? ».

« Le Conseil…, le truc improbable »
« Ah oui, Le Conseil activa une technologie nouvelle qui permet de « faire flotter » les artefacts pour les ramener sur leur terre ancestrale ».
« Non… formidable, c’est comme moi quand je change d’époque et de lieu. »
« Oui, c’est ça. Après de nombreuses recherches pour développer des armes à partir des matières premières du sous-sol kongolais, elles se sont rendues compte que les techniques mystiques d’antan alliées aux technologies numériques actuelles avaient plus de pertinence. Mais il a fallu attendre que tous ces voraces étrangers vident les trésors de notre sous-sol pour qu’elles comprennent que notre richesse et notre force est ailleurs. Elles ont entrepris des actions : elles ont par exemple chassé les chrétiens et transformé les églises en… »

« Attends, attends, tu peux revenir sur le flottement ? »
« Ah oui, bien sûr. Donc on a assisté à des scènes hilarantes. Les artefacts s’élevaient seuls dans les airs en se dirigeant vers la sortie du musée. Ni une, ni deux, le personnel du musée a bloqué les portes. Et là les artefacts restaient suspendus en l’air, caressant le plafond. Je me souviens encore de cette anthropologue qui s’était accrochée à un masque et qui a fini les jambes pédalant dans le vide. Aucune échelle n’était assez haute, c’est le faux éléphant qui l’a sauvée quand elle a eu l’idée de sauter sur son dos. On a tellement ri ! »

« Et après ? »

« Les artéfacts sont restés suspendus pendant quelques jours mais les gens avaient peur de revenir visiter le musée. Déjà que l’institution n’était pas très riche, là elle ne rapportait plus rien. Il n’en fallait pas plus pour que la ministre Léontinne Fiévez débarque avec ses fonctionnaires. Ils n’ont pu que constater la danse flottante et révolutionnaire des artefacts. Alors on a accusé les activistes décoloniaux d’avoir envouté le musée. Ces dernières ont expliqué qu’il n’était plus possible que le musée soit dirigé par des hommes blancs de plus de 45 ans, feignant que c’était à cause d’elles que les masques flottaient depuis plusieurs jours. Un communiqué de presse apparaît sur le ciel du parc autour et met fin à cette polémique ».
« Dans le ciel ? »
« Oui, après l’abolition de l’usage du papier dans la presse, les communiqués s’impriment dans le ciel à différents endroits. Je te dis de mémoire ce qui était écrit : « Cher Dalliançais.e.x.s, Nous, les 3 Reines de Zunikty déclareront la guerre à la Dalliance si vous n’ouvrez pas les portes du musée afin que nos artefacts rentrent à la maison ». En réalité, les reines Zuniktiennes pouvaient faire traverser les artefacts à travers les vitres et les barreaux mais le Conseil des Sages voulait laisser une dernière chance à la Dalliance de montrer son humanité. La ministre Dallienne se formalisa en déclarant que les Reines n’étaient pas objectives, que leurs liens avec ces objets les rendaient émotives. Les Reines n’en revenaient pas qu’une femme qui a elle aussi été marginalisée et traitée d’émotive par la misogynie occidentale, leur renvoie le même stigmate ».

Après l’abolition de l’usage du papier dans la presse, les communiqués s’impriment dans le ciel à différents endroits.

« Elle a fait quoi après la ministre ? »
« Elle a décidé de changer de directeur du musée »
« Ah, enfin, on a eu une personne afrodescendante comme directrice du musée ? »
« Non… elle a engagé un Xnos ultra intelligent fabriqué au Pérou. C’est le must ! Mais ils lui ont enlevé certains logiciels originaux pour les remplacer par des programmes Dalliens. Et chose étrange, ils l’ont appelé Alphonse de Haulleville alors qu’à son arrivée, c’était écrit « Aníbal Quijano » sur la boîte. En fait, on avait reconstitué la conscience d’un ancien directeur colonialiste du Musée, pour le mettre dans le Xnos.

« Ah, et on fait ça souvent ? »
« Oui, c’est une technologie vendue par la Zunikty et avec laquelle elle s’est beaucoup enrichie. La semaine passée, on nous a restitué la chanteuse Dalida. Elle faisait une drôle de tête la pauvre, faut dire qu’elle s’est suicidée, elle n’avait donc pas consenti à revenir. D’ailleurs, dans quelques jours, des activistes vont restituer Kimpa Vita, brûlante idée !».

« Mon temps s’écoule, il faut que tu m’expliques pourquoi le musée est vide aujourd’hui et pourquoi toi tu es encore là. »
« Et ben c’est assez drôle. Les Reines avaient prévu que les artéfacts traversent les baies vitrées un mois après avoir flotté et erré dans le musée. Mais le Xnos Alphonse a eu un gros bug, on l’a retrouvé dans son bureau en train de répéter : « La libertad no puede preservarse si seguimos hablando el idioma de los colonos ». Apparemment, un programme n’avait pas bien été nettoyé. C’était un logiciel d’évaluation de l’injustice. Aussi, quand le Xnos repérait une injustice quelque part, il mettait en place des actions pour rétablir l’équilibre. Il a donc décidé d’ouvrir les portes pour réparer l’injustice faite aux artefacts. Certains employés du musée ont essayé de l’empêcher de ré-ouvrir les portes mais sans succès. C’est comme ça qu’il y a un an, le 30 juin 2098, tous les artefacts et même les bribes d’animaux empaillés se sont envolés vers la Zunikty. Personne n’a rien pu faire. Je ne te raconte pas les scènes de lamentations à Tervuren ! ».

« Mais toi et les autres dans la cave, vous êtes toujours là. Pourquoi n’avez-vous pas flotté ? ».
« Eh bien, le charme ne fonctionne pas à travers des murs aussi épais, fatum ! Ndoki !»

« Il n’y a plus de visiteurs dans le musée ? »
« Oh si plus qu’avant même si certains employés ont été réaffectés. Il reste encore des scientifiques qui se cachent dans les caves pour continuer à nous « étudier » coûte que coûte.»

« Donc, il ne me reste plus qu’à demander aux Trois Reines de relancer un flottement ? »
« Ce ne sera pas si simple, Boali. Ils ont neutralisé le Xnos Alphonse avant qu’il ne sache que nous végétions dans les caves ou qu’il réaffecte le bâtiment pour les sans-abris comme il le prévoyait. Et, de toute façon, comme tu peux le voir, nous sommes emmurés ! ».

Je commençais à avoir le vertige tandis que mon corps se mit à ondoyer.
« Je crois que le temps que je peux passer à un seul endroit est écoulé. Je dois choisir entre retourner dans le passé au moment du charme de flottement pour vous aider à sortir de la cave ou aller plus loin dans le futur pour inventer une nouvelle solution vous permettant de sortir d’ici. Qu’en penses-tu ? Dis-le-moi vite, j’ai déjà touché ma scarification… »

« Ecoute, il est primordial que tu rencontres les 46 664 personnes que Nkoy t’a recommandé. Aucun futur ne pourra être créé sans tenir compte des leçons du passé. Et pour la suite, sache qu’en bas, on est tous d’accord sur un point : même vide, ce bâtiment marqué du sceau des « double L » de Léopold II nous offense. L’idéal serait… »

Je ne l’entends plus. Je m’illumine, je voltige et je disparais !

La traduction néerlandaise est disponible ici.

This article was published in the context of Come Together, a project funded by the European Union.